Trail Jura Bernois 64km +3’000m – 5ème
6 jours après une très nerveuse course de montagne de 9km +710m couru à 93% de ma fréquence cardiaque maximum, je partais sur un tout autre format, à savoir un 64km +3’000m qui reliait Tramelan-Villeret-Chasseral-Nods-Lamboing-Mont Sujet-Cortébert-Tramelan. Tout près de la maison avec une belle météo, tout pour passer une belle journée.
Les jours précédents la course, une certaine tension m’empêche de dormir… car je ne sais pas du tout dans quel état de forme je suis, je ne sais pas si mes problèmes musculaires sont réglés et si je ne valide pas une sortie de 64km +3’000m cela signifie qu’il y a peu de chance que je puisse ensuite enchaîner avec un 100km +5’000m à Cape Town fin novembre… beaucoup d’hésitation donc.
Pour clôre le débat avec ma tête, coach Mat dira: “Bon voilà, ton 32k (dernière sortie longue) s’est bien passé et tu as une grosse envie de faire le 64k…..Pourquoi déjà parler d’abandonner ou de problème musculaire avant même le départ. Confiance, mega positif, et si tu y vas, tu termines et ce sera top !! regarde ca comme une course de 20k ou tout va bien….. et tu la fait 3x”.
Le matin de la course, réveil à 3h40 mini-déjeuner et on part en direction du départ en embarquant le copain de Bruno (de l’équipe Revario). On croise pas mal de connaissance coureurs, bénévoles et cela fait très plaisir d’avoir une atmosphère pareil. Il y a moins de 3 ans je commençais la course à pied/trail, et là je me sens encore plus à ma place.
Le départ est donné à 6h, ne sachant pas mon état de forme et voulant être conservateur au regard de mes problèmes musculaires et blessures depuis le début de l’année, je pars sur des temps de passage me permettant de rallier la ligne d’arrivée en 7h35.
Départ relativement rapide dans la nuit, cela rend la lecture du terrain forestier relativement difficile. Pas de risque sur les parties rapides histoire de ne pas se faire une cheville. Un oeil sur la fréquence cardiaque et toujours à l’écoute de mon corps, je décide de lever le pied après 50mn de “zone 4-5”, histoire de ne pas me griller. Je me focalise sur ce que je peux maîtriser, et le fait d’avoir des concurrents plus rapides, ça je ne le maîtrise pas. De toute façon la course est longue et d’expérience je connais mon moteur diesel, il a besoin de temps pour se mettre en route.
Après les 10 premiers km, je décide donc de lever le pied, car arrive la montée la plus difficile du parcours, la Combe Grède au Chasseral (900mD+). Déjà quelques gênes musculaires apparaissent, mais rien de dramatique. Je décide d’accepter cet état de fait et j’adapte mon intensité de course pour que cela soit plus supportable.
Quelques centaines de mètres sous le Chasseral je fais le point et confirme mes problèmes à m’alimenter. En effet, je n’ai pris aucune nourriture solide depuis le départ et je commence à le ressentir. Le déficit calorifique/glucidique pourrait être problématique à terme, je décide donc de me forcer à manger.
La montée au Chasseral et la grande descente qui suit se fait sans encombre (excepté une tranche de mon index qui est resté sur un rocher), je pointe à la 7ème place comme à Villeret (et comme cela sera la cas jusqu’à Lamboing après 4h20 de course). Puis arrive une longue section de plat sur chemin blanc, pas facile à négocier mentalement après 30km, car c’est typiquement sur ce genre de section que l’on perd du temps si l’allure n’est pas bonne. J’arrive à me câler à 12km/h mais l’effort est compliqué surtout mentalement, car la ligne droite dure plusieurs km. La motivation baisse, mais je l’accepte, grimace, mais continue de tenir mon allure. Je fais le dos rond, j’accepte la difficulté, je me force à manger, car je sais que bientôt, cela va passer et cela va changer.
Après une seconde section de plat, vient une petite bosse, puis la redescente et le 3ème ravitaillement. Presque 2h s’écoule entre Chasseral et le 3ème ravitaillement, clairement la partie la plus compliquée pour moi. Je décide de vraiment m’arrêter sur le 3ème ravitaillement, j’échange mon pull contre un t-shirt car les températures montent après le levé du soleil. Je prends le temps de manger 2 gaufres, et de bien boire, car je sais que 2h devraient encore s’écouler jusqu’au prochain et dernier ravitaillement. Je me mets d’accord avec ma tête, il reste environ 3h de course selon mes estimation (réellement je mettrai 2h40 ^^), je sais que je n’ai pas suffisamment manger, mais ma dernière prise alimentaire devrait me redonner la forme d’ici 30mn.
Encore une fois, j’accepte, je fais le dos rond, je sors les écouteurs pour l’avant-dernière longue montée et je suis confiant. Je commence par 2-3 chansons calmes pour me sortir de ma bulle et penser à autre chose ou à des souvenirs, avant de lancer la méchante playlist “Ultra Cé”. Toujours dans la difficulté mais je limite les dégâts, je m’encourage à haute voix en poussant des “ALLLLEZ, VAS-Y !!! C’EST MAINTENANT !!!!” fortement soutenu par la musique dans mes écouteurs. Après cette montée, vient encore une longue section de plat où je grimace. Sur le plat toujours quelques gênes après 40km, lorsque l’allure avoisine les 12,5km/h et les ischios sont très tendus en montée. Je croise Delphine et mes parents, en grimaçant, mais me rend compte que les jambes tiennent bien le coup. Je me refuse à regarder la montre, et sur l’avant-dernière bosse je relance direct.
C’est bon le plomb à sauter, mode machine activée, le cerveau ne marche plus, il n’y a que moi, la musique, l’effort et ma détermination. Je connais les dernières sections pour les avoir reconnus en début d’année, tout est limpide dans ma tête. Je fais les bons choix lorsque ma tête commence à tourner par 2 fois, je ralentis pour baisser ma fréquence cardiaque et me ravitaille avec des aliments à indice glycémique un peu plus élevé, et reprends mon plan alimentaire.
Dans l’avant-dernière descente j’ai la surprise de croiser des amis, ça booste encore plus, le mode diesel est là, la musique aussi, je sais comment encore activer certains leviers mentaux et tout vient naturellement. Je dépasse 2 concurrents en imprimant un bon rythme pour ne pas qu’il s’accroche…
200 mètres avant le dernier ravitaillement de Cortébert je sais qu’il me reste moins d’une heure de course (40mn en réalité eheh), je me décharge donc des déchets et gourdes en trop, un gros checks avec la famille qui est venu sur le dernier ravitaillement. Dans ma tête c’est clair et net, j’ai la grosse détermination, je garde les écouteurs et peine à entendre les bruits autour de moi, je répète 3x à haute voix à Delphine “il reste 1h, il reste 1h, il reste 1h !!!!”. Une dernière montée sèche de 600m de dénivelé, je sors les bâtons, et commence de dépasser les concurrents des autres distances présents sur le parcours. Les ischios sont tendus, à la limite de la crampe et je sais pertinemment que ma musculature actuelle doit encore être améliorée. Par 2 fois je prends une pause de 3-4 secondes pour les détendre.
J’arrive en haut de la dernière montée et relance directement en courant, je plie les bâtons et tente au mieux de garder une bonne allure sur le re-plat. Je continue de dépasser des concurrents des autres formats puis amorce la descente. Pour la 1ère fois je regarde ma montre et vois “6h54”. Je regarde une 2ème fois…
Je check derrière moi et ne vois aucun concurrent du 64km, c’est décidé, je continue de foncer, je serre les dents et m’envoie une dernière compote pour tenir le rythme. Je manque de me tordre une cheville mais continue sur ma lancée, complètement dans le flow. Je sais qu’il ne reste que quelques mètres, je sors de la forêt en trombe et vois la ligne d’arrivée que je franchis sans vraiment comprendre ce qui se passe. 7h02 ! Putain 7h02 ! Une cotation qui devrait avoisiner les 700 points à nouveau, enfin.
Enfin… une course aboutie, tout en gestion, en expérience, en positivité et en acceptant les moments compliqués, en acceptant les douleur et avec la conviction que tout peut changer. Summum de la fiesta, le gang est à l’arrivée (famille, amis, petits bouts de choux, filleul-e-s), je mets d’ailleurs quelques secondes à comprendre que je connais tout ce monde. 5ème du général, 2ème senior homme (derrière les costauds Blanchard, Leu, Nonorgue).
Un genou à terre avec Delph et le gang, un sanglot comme pour “couronner” cette dernière année compliqué et enfin une course aboutie, le projet de plusieurs mois de travail et d’abnégation. Combien de fois j’ai voulu abandonner les séances de soins, physio, ostéo, étirements, planification d’entraînement, recherche de solution, formation, recherche d’information sur des douleurs, re-planification, déception, les 90% d’entraînements réalisés malgré les douleurs. Le moral qui va et vient, les questionnements incessants. Le niveau revient, enfin, il faut encore re-travailler les hautes intensités et la musculation pour encore m’améliorer, mais le bout du tunnel semble proche. Bref, le meilleur moyen d’arriver, c’est d’essayer, une fois encore !
Une des journées les plus cools du monde, c’est sûr ! 7h à 83% de ma fréquence cardiaque max, 7h à chercher des solutions, à faire le dos rond, à relancer, à aller chercher les clés mentales pour continuer d’avancer. Gros plaisir, comme l’impression d’avoir bouclé un projet que j’ai commencé en janvier 2023 et que je boucle avec tous mes proches. Je ne l’ai sûrement pas assez dit, mais merci !